CHAMBRE DE MATTHEW

Il était tard. Je rentrai dans la pièce et posai ma sacoche contre le mur. Cet endroit était froid, inhospitalier. A mon image. Je me postai devant la fenêtre et posai mes mains sur les rebords de la baie vitrée. Dans le jardin je vis Brittany. Elle devait certainement partir en ville afin de retrouver le fameux Damon, celui qu'Hugo désirait voir entrer dans l'école. Je détournai mon regard.
J'étais à la fois las et énervé. Toute cette histoire d'école me passait au dessus de la tête. A l'instar de ma vie précédente, je n'y trouvais pas ma place. J'étais né pour être solitaire. Je n'avais jamais eu d'amis, mon père m'avait abandonné et j'avais inconsciemment tué ma mère. Je me demandais même pourquoi je restais ici. Qu'avais-je espéré ? Quand le grand Hugo Harrington m'avait fait trouvé je m'étais dis que j'allais enfin trouver une famille. Mais auprès de qui ? Personne ne semblait être fait pour s'adapter à mon caractère. Je savais que nous avions tous un passé lourd, mais leurs manières de réagir ne me correspondaient pas. Finalement, je me sentais oppressé ici. Dans la vie.

Je me détachai de mon point de contemplation et pris le paquet de cigarettes presque vierge dans ma besace. Je ne le réservai que pour de grandes occasions. Celles où je ne désirais plus penser, réfléchir, chercher mon identité. Je me contentais d'observer la fumée. Je tirais un tube et l'allumai. Je retournai à ma place, le front coincé sur mon poing, le regard perdu dans le vague.
Une fois terminé, je me saisi de mon ordinateur, traversai la pièce et m'installai sur le bureau. Je pris mon article en cours et le relis ; avant de tout effacer. Ce papier était mauvais, tout comme son sujet. Je passai de longues minutes à réfléchir. Ma gorge était sèche. Je me saisis du verre vide et me concentrai. La pression de l'eau augmenta dans la tuyauterie. Tant et si bien que le robinet de la salle de bain s'ouvrit. Je fis cheminer sans difficulté l'élément jusqu'à mon verre et refermai le robinet. Merde ! De l'eau chaude. Avec un effort de plus, je rafraichi le liquide et l'avalai. Je secouai la tête et regardai une fois de plus la page Word vide.
Inutile, ce soir je n'y arriverai pas. Je fermai l'ordinateur me déchaussait et m'allongeait sur le lit, prêt à accueillir une nouvelle nuit blanche.

Après avoir passé le reste de la nuit à tourner dans le lit en cherchant le sommeil en vain, je me levai. Je mis l'eau de la douche à chauffer sans quitter ma place puis préparai mes affaires de rechange. Si je croisais le directeur, je lui inventerai un bobard à propos du travail. Nous avions été très clair lors de mon adhésion, mon job était prioritaire sur cette école. Je pouvais être nourri, logé que ça ne changeait rien. J'ôtais mes vêtements et me glissai sous l'eau... froide. Impassible, je ne changeai pas la température. Je savais que j'avais besoin d'aide pour maîtriser mon "don". Mais je n'en avais pas la volonté, l'envie.
Comme tout ce que j'entreprenais, je lâchai prise. Il n'y avait que mon travail qui me prodiguait pour ainsi dire de la joie. Si les sujets en valaient la peine. J'aimais fouiller, trier les informations et aller au fond des choses. Mais interroger la doyenne de la ville qui avait droit à un article d'honneur pour son quatre-vingt dix-septième anniversaire n'était pas un de ceux qui me passionnaient. Je quittai la douche et me séchai rapidement. Je passai la serviette autour de ma taille et essuyai la buée.
Tout en me brossant les dents je me mis à réfléchir. Il devait bien y avoir quelque chose à en tirer de cette personne.
Je revins dans la chambre et regardai l'heure. Huit heures trente. Il était trop tôt pour l'appeler. Je décidai finalement d'aller prendre un café à l'extérieur et d'essayer de la joindre sur les coups de neuf heures, neuf heures trente. Elle ne rechignait pas à se déplacer. Je pourrais probablement trouver des questions interessantes. J'étais décidé à terminer ce papier coûte que coûte. Même si je devais la cuisiner.
Je m'habillai, rangeai mon ordinateur dans ma besace avec mon dictaphone et de quoi écrire, un appareil photo et mes papiers. Je ressentis comme un soulagement lorsque je quittais la pièce et fermai la porte. Mieux valait que je sois dehors que dedans. C'était une certitude.